Oeuvres 2010
A propos des 27 derniers tableaux c-dessus :
LES ARBRES
Histoire vraie.
Il s’agit d’une plantation d’épicéas perdue dans le massif ardennais, trouvée par hasard lors de mes pérégrinations.
Mon attention fut attirée par des blessures aux troncs : la marque à l'herminette du forestier qui choisit ainsi les sujets à abattre pour l’éclaircie qui va suivre.
Les marques avaient déjà de l’âge, quelques mois, et la sève résineuse avait coulé.
Plus tard, alors que ne s’opérait pas l’éclaircie et que les arbres étaient comme en attente, de curieux phénomènes naturels apparurent : l’écorce écorchée cicatrisait, la chair vive de l’aubier se fendillait, séchait, coulait encore, et les coulées blanches se superposait comme des concrétions calcaires.
De fines couleurs apparaissaient dans les bourrelets de l’écorce en cicatrisation, le bois à nu se parait des nuances de la fourrure de l’ocelot.
Le temps passait, les arbres étaient toujours anormalement sur pieds et chaque fois que j’allais les rencontrer, par tous les temps, toutes les lumières, toutes les heures du jour, les saisons - pour ainsi profiter de ce que les lumières changeant sans cesse pouvaient ajouter aux beautés naturelles de ces cicatrices en mouvement- chaque fois j’appréhendais le moment où j’allais les découvrir abattus voire disparus.
J’ai pris des centaines de photos.
Une année passa, et au printemps suivant, chaque tronc sur sa blessure se vit paré là très exactement d’un psccchit de bombe fluo fuchsia rose-clair…
Était-ce une nouvelle marque renouvelant simplement la volonté d’éclaircie et relançant la machine ?
Ou l’œuvre d’un facétieux allumé ? Ou encore de quelqu’un qui m’avait pisté et m’avait pris de court sur mon propre terrain en me dépassant d’une audace que je n’aurais eue ?
D’un coup s’offrait à ma vue les 11.OOO verges d’Apollinaire version Femme…
Quelle vision ! Quelle transformation à nouveau, et encore, et de quelle façon !
A nouveau des centaines de photos.
Puis un matin, les troncs étaient au sol, et cette horizontalité me dévoilait de nouvelles perspectives et formes, de nouvelles nuances, des ombres inédites, des corps tronçonnés et des corps à corps emmêlés dans les ronces - début de dépeçage - , et je prenais de nouvelles photos.
Un autre matin, et les troncs étaient tous partis…Tous…J’ai cherché les traces de leur halage et je les ai trouvées, pour les suivre jusqu’à la route de campagne où ils avaient été disposés de part et d’autre, sur plus d’un km.
Ils avaient été ébranchés, partiellement écorcés, et les terribles machines dentées qui s’en étaient occupé, avaient laissé sur les écorces de nouvelles cicatrices : des dentelures régulières et parallèles, nombreuses comme des parasites malfaisants, mais belles dans les impressions cette fois mécaniques et délicates – oui – qu’elles offraient, bandes dessinées, dents de pellicules de nouveaux films kilométriques qui se dévidaient au bord de la petite route……. ultime spectacle discret que j’allais traquer sous tous ses angles dans les tas le long de la route… photos, encore photos, cette fois en usant d’un pied téléscopique que j’avais fini par acquérir pour mieux poser, disposer et reposer toute cette étrange aventure.
Un jour, à l’atelier, un premier tronc sortit tout seul de la toile,
un deuxième, un autre,
5 puis 10 puis 15, d’autres encore – certains ont été peints bout à bout, dans un même élan de jubilation, avec une profonde sensation de gratitude pour tous ceux qui façonnèrent le spectacle grandiose qui m’avait été donné , spectacle fabuleux - proprement fabuleux - , nourri d’épisodes aussi nombreux qu’insolites, spectacle entièrement tourné et livré dans le silence total de cette Forêt d’Ardenne qui m’a vu naître.